Roses en flottaison
Prisca Santa-Maria avait deux âmes-sœurs et des amis. Elle avait de longs cheveux blonds presque transparents et un teint lunaire…Des yeux très clairs. C’était une jeune fille très timide et craintive qui vivait avec un chat nommé Lîla, à la robe blanche et douce…Des yeux verts en amande. Vêtue de sa veste en simili cuir Prisca se dirigeait vers la porte du jardin d’hiver…Une porte ovale. Un vitrail coloré avec un loquet rond. En or comme le petit bouton d’une robe. La verrière ondoyait légèrement...C’était peut-être l’effet des rayons du soleil sous la pellicule d’eau…Il avait plu. La couleur des mosaïques se détachait aussi…Se dédoublait légèrement…Prisca vacilla sur la pointe des pieds. Retomba sur ses pattes comme un chat…sur les losanges en céramique de l’époque antique. Elle se releva ou plutôt s’agenouilla et se frotta les mains endolories…Les particules de sable frottées dans ses paumes créèrent des étincelles…De l’électricité statique. La voilà magicienne ! Ce n’était pas de la poussière, c’était le sol qui s’effritait à l’usure du temps. Une colombe chantait…Suspendue à un anneau de fer se balançant dans les airs…Le fragile oiseau ouvrait ses ailes sous un faisceau de lumière où la poussière dorée et scintillante dansait en se torsadant…Comme des merveilles. Il y avait une belle hauteur de plafond et les poutres comme une arche inversée formaient une étoile à huit branches. Elle se dirigea vers la porte et l’ouvrit. Du poisson mort empestait le lieu…Une sardine aux écailles bleues sur une soucoupe bleu-nuit. A moitié mangée de sorte qu’on voyait l’arête centrale. Le cadavre était infecté de mouches. C’était le repas du chat un brin gaspilleur. Lîla était endormie dans le cerisier où les pétales s’envolaient comme des confettis. Un message apparu sur l’eau de la fontaine…Gloria Rosa, son amie, la longue dame brune. Prisca n’était pas très grande et elle était frêle comme une brindille. Cette âme-sœur avait de longs cheveux bruns, des yeux maquillés avec un trait de khôl à la manière d’une égyptienne. Son aura de mystère s’étendait à la ronde. Elle était très grande et elle avait un corps de latine. Elle portait de jolies créoles. Sa fleur préférée était la rose blanche.
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Comme Gloria Rosa allait venir la visiter, Prisca Santa-Maria fît son ménage et son lit. Fît brûler de l’encens. Cueilli quelques tomates-cerise dans le jardin…Des framboises et des fraises. Au marché, elle alla acheter du pain de campagne et du vin. Elle se dirigea dans le cloître des Dames Blanches cueillir une rose. Elle traversa le petit labyrinthe de buis. Y retrouver son chemin était un jeu d’enfant et il débouchait sur ce petit jardin des simples où il y avait des roses qui odoraient à la ronde. De toutes les couleurs. Le portail ouvert de la crypte était assez angoissant… Un écureuil descendit les marches de l’escalier, et disparu dans la bouche noire de l’obscurité. La jeune femme était intriguée. Elle n’avait jamais osé descendre dans la crypte. La nuit lui faisait peur. Comme elle était venue pour cueillir une rose blanche, elle en cueillie une…La plus belle des roses. Une voix gronda. Prisca tressaillit. Une voix caverneuse prisonnière d’un écho. Elle vit deux grands yeux rouges phosphorescents. Sa main se perla de gouttes de sang à cause des épines de la rose qu’elle serra un peu trop fort. La patte griffue d’un animal surgit de la crypte. Celle d’un chien géant ? Elle cria d’effroi… La bête semblait lui reprocher de lui avoir dérobé une rose de son jardin. La jeune fille s’enfuyait avec la rose …Elle ouvrit le petit portail en fer forgé qui grinça sinistrement et il se referma derrière lui.
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Le sang s’écoulait de sa blanche main sous le jet d’eau du lavabo en forme de coquille Saint-Jacques. Le sang n’en finissait pas de couler et engorgea très vite la bande qu’elle s’était faite. Le chat assis sur la coiffeuse blanche en fer forgé la regardait d’un air inquiet. Elle en refit un autre jusqu’à tant que l’hémorragie s’estompe mais en vain. Après tout cueillir une rose n’était pas un crime. Surtout pour celle qu’elle aimait. Elle lui donnait son amour.
-Donner ou sacrifier ton amour ?! Dit une petite voix sur la surface de l’eau du bain…C’était une baignoire ancienne, blanche ivoire avec un élégant robinet en or. La salle de bain était joliment voutée. Mélusine était sculptée sur la voute d’ogive.
-Je t’ai fait peur excuse moi, je suis la princesse Libella mais on me surnomme La Demoiselle. Nous sommes douze sœurs…Une de mes sœurs est une abeille, elle s’appelle Maya, je vais lui demander de m’aider à panser ta plaie, il faut faire un cataplasme avec du miel…C’est très bien que tu aies désinfecté la plaie avec de l’eau. Sais-tu qu’ici l’eau est magique ? Elle provient de la source romaine. La libellule violette se posa sur la main de Prisca.
- Pourquoi parles-tu de sacrifice ? Je l’aime de toute mon âme…La petite sirène libellule ria de sa voix claire…
-Ne t’en inquiète pas. Je disais cela pour nous. Nous les douze princesses…Notre père, le Roi, veut absolument nous marier et à la nuit tombée il nous enferme à clef dans notre chambre. Mais nous ne dormons pas, nous allons danser…Il s’est aperçu que nos chaussons de danse sont usés alors il a fait la promesse de nous donner à celui qui découvrira notre secret. Où nous allons danser…
-C’est affreux !
-Oui les princesses ont des responsabilités ! Mais nous sommes encore jeunes et nous attendons la bonne personne. Tant que notre cœur est noble…Ce n’est pas un crime de danser !
La libellule fît ondoyer l’eau du bain de ses ailes et appela sa sœur Maya l’abeille qui rentra aussitôt par le vitrail. Les dix autres sœurs ailées arrivèrent à sa suite, elles transportaient un petit pot de miel en terre cuite…Parmi elles : une fée, une sirène, une ondine, un papillon fée, une féline ailée, une licorne, une danseuse papillon, une fée lapin lunaire, une jeune fille canine et la sorcière blanche. Toutes étaient des jeunes filles hybrides avec des caractéristiques animales et ailées. Toutes étaient de petites tailles. La sirène libellule et la fée abeille lui retirèrent les épines plus ou moins incrustées sous la peau, et lui firent un cataplasme de miel et de pollen. Une feuille d’aloe vera flottant comme par magie sur l’eau du bain servit de bande pour le pansement. Toutes les petites créatures s’activaient autour de la main blessée de la jeune fille. La féline ailée s’était assise sur la coiffeuse à côté du chat Lîla. Elle caressait l’animal de ses longs doigts, si fins…Lîla était aux anges et il ronronnait.
Le lendemain matin, le cataplasme s’était défait tout seul…Après une longue nuit de sommeil les griffures de la rose avaient disparu…Prisca alla prendre son bain. Des roses flottaient sur son bain et une fiole d’huile essentielle de rose était posée sur le rebord de baignoire. Elle retira le petit bouchon en liège et versa quelques gouttes. La salle d’eau était baignée d’une douce senteur. Elle ôta sa chemise de nuit et se glissa dans l’eau.
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Lettre de Gloria Rosa à Prisca Santa-Maria
Chère fée,
Merci de m’avoir accueillie chez toi. Tu es la personne la plus douce et la plus délicate que je connaisse…Merci pour la belle rose blanche ! Elle était très jolie chez toi. Sous les scintillements du chandelier en cristal. Cet escalier en colimaçon menant à la chambre sentant la cire d’abeille. Ce plancher qui craquait sous mes pas. Ce grand lit blanc à baldaquin. Cette grande armoire à glace qui appartenait à ta grand-mère. Ce tableau pré-raphaélique au dessus de ton lit. Cette fenêtre donnant sur le jardin et les lilas en fleurs. La cathédrale qu’on aperçoit et le son des cloches. Ton jardin d’hiver où ta colombe semblait s’amuser. Son chant. Ton chant cristallin. Tout est angélique en toi. Ta voix. Tes yeux bleus en amande que j’ai maquillé avec du mascara et du khôl. Ces longs cheveux blonds si doux que j’ai brossé. Cette peau diaphane et douce comme une peau de pêche. Ce visage si fin. Tes mains si fines. J’ai aimé nos petits déjeuners dans le jardin d’hiver. Le thé de Chine dans ta jolie porcelaine. Les fruits rouges et les merveilles. J’ai aimé nos balades main dans la main. Nos discussions dans le jardin. Les pieds dans l’eau de la fontaine romaine. Et cette balade chevauchant ma Harley Davidson jusqu’à l’océan. Ce bain de mer. Les routes sinueuses dans la forêt. La biche traversant la route. Le château médiéval perché sur une roche. La nuit, le chant de Maya, du groupe Pro Memoria. Les chandeliers allumés. L’opium qu’on fumait. Nos danses auprès du feu. Tes poèmes que tu me lisais. Ces nuits étoilées. Ce vin versé. Ces photographies que j’ai faites de nous.
Je t’aime
Ta féeline Gloria
Lettre de Prisca Santa Maria à Gloria Rosa
Chère Gloria,
J’ai été touchée par la grâce de tes gestes. Le fait que tu fumais de fines cigarette assise à mon balcon en fer forgé. Les rideaux de mon lit à baldaquin qui flottait. Ta bouche rouge. Tes yeux si sombres aux reflets bleu-nuit striés d’or. Ce regard si mystérieux. Caresser tes longs cheveux noirs. Ces jolis maillots de corps en dentelles ou en velours que tu portais. Ce parfum de rose flottant autour de toi. Ta voix de chanteuse blues. Relever la couverture sur toi quand tu avais froid. Caresser ton dos. Marcher main dans la main dans les rues médiévales. Te préparer des diners aux chandelles. Des salades composées : tomates-cerise, feuilles de menthe, noix et du fromage de chèvre saupoudré d’herbes de Provence sur des tartines de pain de campagne passé au four (à bois). Merci pour la balade en Harley Davidson, pour le bain de mer…La crypte…Non je ne voulais pas descendre… Une menace invisible m’angoisse. Ce pentagramme gravé devant. Le granit si chaud au soleil. Ces roses que ton nez de Cléopâtre sentait… Je t’ai supplié de ne pas les cueillir car le jardinier est ronchon. J’entendais comme une source souterraine, comme un orage lors de la montée des eaux. Tu es descendue dans la crypte…A l’intérieur je n’ai pas vu la bête. Je tremblais. C’est vrai qu’il faisait sombre mais petit à petit la roche s’est mise à scintiller et j’ai perçu la vierge noire au pied d’un ruisseau et les roses blanches à ses pieds…Tous les cierges étaient éteints. Une chauve-souris a effleuré mes cheveux…Et m’a surprise. Je n’ai pas crié. Tu as chanté. Le gouffre avalait ta voix. Ce n’était pas comme un écho. Il y avait un étroit passage prolongeant le ruisseau émeraude. Je t’ai suivi. C’est tout au fond que je percevais un bruit sourd…Lorsque tu as vu une araignée noire aux longues pattes fines, tu es revenu sur tes pas…Un fil de la vierge dans tes cheveux et dans tes longs cils scintillant. Blonds au soleil. La bête dormait peut-être dans l’abysse. Je ne cesse de rêver de cette crypte qui dans mes rêves devient un labyrinthe…L’eau monte, l’eau gronde et transporte des étincelles, de l’orage. Je suis en robe blanche et l’eau m’arrive déjà jusqu’à la taille. Une vipère effleure ma cuisse, l’entre-jambe et sa morsure est intense. Si douloureuse. J’hurle et la grotte absorbe ma voix. Ma voix traverse le tunnel à la vitesse de la lumière…Je cherche ta main. Je tournoie sur moi-même. Ma blanche robe. Corolle. Parfois tu me dis que je ne veux pas descendre en moi, que je ne veux pas faire face à mes démons…Que ces choses au fond de moi ne sommeillent pas. Elles ne sont pas sans conséquences même dissimulées dans l’obscurité. Au contraire…Ces secrets nous mettent en danger car ils nous attirent à eux…On ne peut pas rompre le sortilège. Les choses mises en lumière perdent leurs pouvoirs maléfiques. Parfois toi aussi, tu semblais perdue dans tes pensés…Seule Lîla pouvait t’éveiller.
Je t’aime féeline
Prisca
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Prisca Santa-Maria avait deux âme-sœurs. L’une féminine. L’autre masculine. Elle aimait Bernard De La Source, un homme d’un certain âge qui lui apprenait beaucoup de choses. Car il était très instruit. C’était un homme simple, assez doux, d’une apparence limpide et calme, qui pouvait être profond, et qui avait la main verte. Elle aimait beaucoup Gloria mais elle se demandait pourquoi son ami Bernard était aussi silencieux depuis quelques temps. Elle devait mériter son amour ou lui prouver. Du moins c’est ce qu’elle pensait. Ne comprenant pas vraiment ce qu’il souhaitait. Est-ce qu’elle en faisait trop ou pas assez ? Il l’aimait mais étaient-ils sur la même longueur d’onde ? Il y avait beaucoup de choses qu’il ne disait pas. Il n’arrivait pas toujours à exprimer ses sentiments. Il lui demanda de lui cueillir une rose rouge dans le jardin du cloître des Dames Blanches (là où il y a la crypte). Car les roses du cloître des Dames-blanches sont les plus jolies et sentent merveilleusement bon…Elle se rappela de la présence de la bête…Et de ses blessures. Sa main en sang. Cette main qu’il avait embrassée comme un homme d’une autre époque.
« Un jour il me demandera de décrocher la lune, mais c’est impossible…Je le trouve un peu cavalier. Est-ce que Gloria m’a demandé une rose ?! Non, je l’ai cueilli avec le cœur !» Comme elle l’aimait beaucoup, elle alla jusqu’à la crypte cueillir pour lui une rose rouge…Ses désirs étaient des ordres. Elle fût très surprise lorsqu’elle découvrit un bouquet de roses mauves, roses, rouges et blanches... Dans un vase devant le portail de la crypte, au centre du pentagramme. Etrangement l’intérieur de la crypte n’était plus aussi sombre qu’auparavant. Elle était éclairée par des scintillements dorés. La nuit allait tomber, et il se mit à pleuvoir. Alors elle ramassa le bouquet de roses. Celui qui avait composé le bouquet avait eu la gentillesse d’ôter les épines. Elle entendit un homme sangloter. Elle descendit les marches recouvertes de mousses…Une senteur de fougère emplissait ses narines. Ce n’était pas un homme qui pleurait…C’était la bête. C’était un ours blanc.
-Vous croyez que j’ai un cœur polaire Demoiselle…Toutes ces roses sont à vous pour mettre du baume à votre cœur…Je ne voulais pas vous faire peur l’autre fois. J’ai demandé à la libellule d’aller vous panser. C’est ici que les douze princesses viennent danser…Voyez les rondes de champignons c’est le cercle des fées.
-Merci infiniment pour les roses. Mais pourquoi pleurez-vous ? Puis-je faire quelque chose pour vous ?
- Ne pas vous fier aux apparences…Pouvez-vous me contempler dans le reflet de la fontaine ? Et c’est ce qu’elle fît…
-Oh mon Dieu ! Bernard c’est vous !
-La reine sorcière m’a transformé en ours…C’est pour cela que j’étais silencieux, distant et je ne pouvais pas me montrer ainsi…Elle voulait me punir de mon cœur de pierre. Mais il y a un moyen de briser le sortilège. Les douze princesses m’ont dit qu’il faut qu’une femme tombe amoureuse de moi. Même sous cette apparence et je dois l’aimer en écho, exprimer mes sentiments sans être possessif ou jaloux…
-Oh Bernard je vous aime ! Qu’importe les apparences ! Prisca lui caressa le dos. Sa robe blanche était si douce. Sous ses mots et gestes tendres Bernard retrouva sa forme humaine.
-Oh ma belle Prisca, ma blonde, cela faisait sept jours et sept nuits que je n’ai pas mangé. Sept jours et sept nuits que j’ai pleuré. Cela m’a semblé une éternité. Pardonnez-moi de vous avoir fait tant souffrir avec mes maladresses…Mon cœur n’était pas glacé. Mais je ne savais comment exprimer mon amour sans paraître bourru. Vous êtes si belle et si fragile.
Il prit sa main gauche dans la sienne et l’embrassa. Elle s’approcha de son visage et de ses lèvres. Ils s’embrassèrent puis lentement sortirent de la crypte.
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Cher Bernard,
Ma maison je l’ai hérité de ma mamie. Elle était écrivain aussi. Je suis contente que tu t’y sentes bien et que tu trouves des lectures à ton goût. Je sais que tu t’occupes bien des plantes de mon jardin. De mon chat et de ma colombe. Tu me manques. Mon voyage avec Gloria se passe bien…Elle va rentrer chez elle, chez son âme-sœur homme, ma sœur d’âme et reviendra me voir bientôt.
Je t’aime.
Prisca
Prisca Santa Maria et Gloria Rosa restèrent deux sœurs d’âme, s’aimant d’un amour pur…Prisca se maria avec son âme-sœur Bernard De La Source et ils eurent une petite fille…Gloria se maria avec Odin Renaud et eu un petit garçon et une petite fille…Elles n’étaient jamais loin l’une de l’autre et se voyaient souvent…Elles n’habitaient pas loin l’une de l’autre, et la maison de l’une était aussi celle de l’autre. Toujours la cheminée était allumée pour les tant-aimés et les amis. Et les roses odoraient le lieu à la ronde. Les douze princesses dansaient toujours la nuit en cachette du Roi leur père, jusqu’à tant de trouver l’amour et une descendance…
L'oracle des Contes de fées de Lucy Cavendish