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31 mai 2023 3 31 /05 /mai /2023 18:48
Histoire de Mére et d'océan n°2 (suite)

La coccinelle bleu-nuit traversait le tunnel dans la forêt. Une buse planait sous les arches. Les feuillages verts ressemblaient à des vitraux sous la lumière de « La Soleil » qui perçait à peine…Sa sœur angélique était assise à côté d’elle sur le siège passager. Sirénia et Marylin s’étaient retrouvées depuis seulement quelques mois. Une musique planante flottait dans la voiture. Une voix aérienne féminine sur une musique tantôt douce, avec le son d’une contrebasse et d’un cor, tantôt plus intense et mélancolique avec des rifts de guitares électriques.

Après plus d’une heure de trajet, elles apercevaient la mer grise et déchainée au-delà des pins parasols. La dune balayée par le vent. La voiture emprunta Le Chemin des Roses Trémières, au numéro 7 les grilles du haut portail en fer forgé étaient fermées. Une pancarte « A Vendre ». Les coquelicots poussaient librement dans le potager en friche. La maison longiligne était fermée. Les volets telles des paupières closes. La vigne grimpante s’agrippait à un pan de mur de la maison, encerclant la porte d’entrée et son escalier. L’océan Atlantique frappait les rochers en bas, l’eau éclaboussait…Les mouettes se détachaient dans ce ciel gris et nuageux. Sirénia se gara. Aussitôt dehors les demoiselles apprécièrent le vent maritime qui caressait leurs joues et transportait avec lui la senteur océanique.

 

Journal de Sirénia,

 

27 mai 2023,

L’agent immobilier a mis les clefs dans une enveloppe que j’ai rangées dans mon sac à main. La grille a grincé sinistrement. Un lapin blanc s’est enfui en bondissant. S’est caché dans le buisson. Comme dans le rêve nous nous sommes attardées dans le jardin naturel parmi les hautes marguerites, les coquelicots. Deux papillons tournoyaient. Puis nous nous sommes approchées de la mer... Nous avons descendu l’escalier abrupt et nous avons escaladé les roches…Nous recevions des gouttelettes d’eau de mer sur le visage et les mains. Il me semblait que la haute falaise a plusieurs facettes, certaines facettes étaient dans l’ombre, d’autres étaient éclairées par « La Soleil » : blanches et éblouissantes. Un artiste aurait pu en faire un croquis. Il y avait des fossiles incrustés parmi les strates mais on ne voyait pas les détails. Dans les cils transparents de Marylin : trop de soleil, trop de distance : dans les miens c’était pareil.

*

De la lumière s’écoulait de la lucarne du haut de l’escalier en colimaçon. La poussière dorée tourbillonna dans ce faisceau lumineux. Ce n’était pas rapide comme les chutes d’eau des cascades. Cette cascade de lumière était suspendue, en apesanteur. A l’image de la métaphore d’un temps non linéaire : ça tournoie en ronde vers le haut puis le bas. La poussière se dépose lorsqu’elle en a envie. Et peut-être après le repos, si nos pas meuvent légèrement la plancher, peut-être elles s’envolent… les particules. C’est sensible tel le battement des ailes des phalènes.

Puis un gros nuage s’est déplacé rapidement dans le ciel, le faisceau a disparu. On entendait le murmure de la mer. Une toile d’araignée semblable à un attrape-rêve.

Nous nous sommes séparées dans ce hall, tu as ouvert la porte du couloir, un long couloir obscur qui avalait ta silhouette en longue robe comme il absorbe les fantômes et moi je suis montée dans l’escalier, attirée par les hauteurs. J’aime visiter seule les maisons car c’est mystérieux. Cela fait si longtemps : je ne retrouve pas les souvenirs. C’est une maison qui était inhabitée, cela se ressent dans son atmosphère. La maison est une grande dame avec un grand potentiel mais il faudra prendre soin d’elle, faire quelques rénovations, l’aérer un peu, repeindre un peu ou tapisser, faire un grand ménage de printemps, la meubler, la décorer…Lui redonner un peu de vie et de joie grâce à nous. Je fais grincer le plancher. J’aime les craquements des vieilles maisonnées, elles ont leurs vies, leurs mystères, leurs gardiens, leurs fantômes. Je faisais glisser mes doigts sur la rampe. Le premier étage dessert deux chambres jumelles, l’une à côté de l’autre avec un balcon en fer forgé donnant sur la mer. L’une est tapissée de petites roses mauves, l’autre est tapissée de petites fleurs bleues ressemblant à des véroniques. Elles ont toute les deux une cheminée condamnée, une salle de bain voûtée, une sirène sculptée sur la clef de voûte, éclairée par des vitraux émeraudes avec une baignoire aux pieds palmés. Un lavabo en forme de coquille Saint-Jacques. La mienne, celle de mon enfance était celle de droite, celle aux fleurs bleues. Elle fût aussi celle de ma maman. La sirène de la salle de bain ressemble à une vouivre, elle est d’origine…Alors que dans l’autre chambre la sirène à une queue de poisson : la sculpture est plus récente, elle avait été restaurée. Une troisième porte en face des deux chambres mène au grenier. Malheureusement c’est fermé à clef et je n’ai pas la clef. Dans mon enfance c’était un grenier aménagé en chambre. Cette chambre mansardée était grande et nous servait de salle de jeux.

Je suis retournée au rez-de-chaussée, le soir était déjà tombé. Marylin a fait un feu dans la cheminée. La baie vitrée était ouverte. Je devine qu’elle a passé un coup de balai. Elle a allumé la radio.

J’allais chercher la glacière dans la voiture. J’ai préparé une salade composée au vinaigre balsamique : mâche, tomates, maïs, dés de fromage. J’ai amené aussi une bouteille de clairette de Die.

Avant de manger, nous sommes allées nous baigner. L’eau n’était pas trop froide. Je m’en doutais : quand la mer est agitée : elle est moins fraîche que lorsqu’elle est calme et transparente. J’ai rejoint à la nage le carrelet. Un des rochers nous servait de plongeoir.

Emmaillotées dans de grandes serviettes nous sommes remontées au jardin puis à la maison. J’ai ajouté du bois dans le feu. Nous avons dîné devant la cheminée.

-Te souviens-tu que nous voulions habiter toutes les deux sur une île ? Et avoir une vie de bohème ?

-Oui, je m‘en souviens…Le rêve se réalise…

-Oui même si ce n’est pas une île, notre amitié est similaire à une île.

-Et notre vie aussi…Elle se ré enchante.

-Elle devient magique même si c’est seulement avec l’essentiel…

-Surtout, si c’est seulement l’essentiel...

 

Journal de Marylin

 

28 mai 2023,

Ma guitare bleu-nuit scintillante était allongée sur le siège arrière de sa voiture…Je l’ai amené à la maison…Sirénia m’a accompagnée au chant. Pourquoi tant de personnes la découragent de chanter? Sont-ils jaloux ? Sa voix naturelle n’est pas naturelle, elle est surnaturelle… Ils n’ont peut-être pas l’habitude du rock gothique, de la cold…Sirénia à une voix aigüe, fluette. Elle m’a dit qu’elle est une colorature…Je n’avais jamais entendu ce mot…

Elle n’a plus de voix, c’est faux…C’est une sirène. Sa voix est particulière. Pourquoi tant de personnes la découragent ?! Pourquoi elle les croit?!

J’ai dormi dans la chambre aux roses mauves. A côté de la sienne. J’ai rêvé que la salle de bain était commune aux deux chambres, et il y avait un unique balcon pour les deux chambres jumelles, pas de séparation.

*

 

Lorsque je l’ai retrouvé, en janvier 2023, elle louait une maison avec un escalier en bois, un étage, elle était célibataire et vivait avec son chat. Elle m’a préparée une salade composée. On a bu de la Clairette de Die. Elle a chanté. Je l’ai accompagnée à la guitare. On a fait une balade nocturne dans la forêt.

Le temps a passé vite. Maintenant elle a un fiancé et il a acheté la maison de ses arrières grands-parents (c’est-à-dire la maison voisine à celle de ses grands-parents. Au numéro 6 : elle a été détruite et il y a une maison flambant neuve à la place. Dans celle-ci, au numéro 7 elle n’a pas beaucoup changé mais Sirénia a beaucoup moins de souvenirs d’enfance car elle avait été vendue lorsqu’elle était toute petite).

Elle m’a raconté : Luciano a ouvert le compteur d’eau, a téléphoné à EDF…Sirénia est une artiste. Elle ne sait pas trop bien se débrouiller pour l’administratif ou les choses pratiques de l’existence. Cela lui demande beaucoup d’énergie. C’est presque un handicap. Elle n’a jamais travaillé mise à part à son art. Elle a pourtant essayé…

Comme je la comprends. Au moins, elle, contrairement à moi, est indépendante, elle sait vivre seule dans une maison. Je n’ai jamais habité seule, sauf à l’appartement universitaire mais j’étais très entourée par les amis et très occupée à étudier, à l’amphithéâtre, en classe (les petits groupes pour les travaux pratiques), à la Bibliothèque Universitaire.

A la fac de lettres, dans ma classe, elle avait un joli sourire triste, et sa voix était très douce quand elle parlait. Elle était timide.

Je me souviens de son poème, la chanson de toile : je jouais de la guitare. Dans sa poésie elle l’avait deviné. On venait de m’en offrir une: c’était une guitare sèche.

Dans mon cœur c’était ma jumelle liée par le ciel. Sirénia allait à l’atelier d’écriture.

Elle m’avait redonné le goût d’écrire et elle m’inspirait beaucoup. On tenait chacune un blog.

Dans mon cœur cette fille est ma jumelle liée par le ciel mais nous avons aussi des différences et nous sommes complémentaires. J’adore cette complémentarité. Nous pouvons nous donner ce qui nous manque un peu…Nous équilibrer. Quand nous étions petites Sirénia se sous estimait et ne voyait pas la différence, elle me ressemblait et voulait me ressembler davantage car elle ne voyait pas qu’elle était belle à l’intérieur elle aussi et unique.

Certaines personnes sont de la même famille d’âme et il y a beaucoup de similitudes entre elles…C’est magique.

 

Journal Intime de Sirénia,

Orion était chef de chœur à la chorale. J’avais 15 ans et lui 25 ans. J’étais tombée amoureuse de cette personne. Les longs cheveux noirs. Les yeux en amande comme un asiatique. Le corps fluet. Les mains fines d’un pianiste. Parfois il me regardait avec ses yeux de velours et me souriait. Je pensais qu’il m’aimait…On chantait avec un orchestre symphonique lors des représentations. On s’entraînait tous les jeudi soir et durant certains weekends avec l’orchestre. C’était un oratorio de John Steiner.

J’aimais chanter et il était devenu une fascination pour moi. J’étais trop jeune pour lui : je le savais. Je n’étais pas majeure. Je devais attendre…Mais une amie à moi qui était pourtant plus âgée que moi : m’a encouragé à lui écrire une lettre un peu poétique et m’a aidée à l’écrire. Je lui ai envoyé cette lettre. C’était à la fin de l’année.

Je ne pensais pas qu’il était déjà marié à une femme. Une musicienne comme lui.

La secrétaire de l’école de musique a téléphoné à mes parents. Mamie m’a disputé. Je sanglotais alors elle essayait de me raisonner et aussi de me consoler en me prenant dans ses bras. J’ai eu un sentiment de honte parce que ma mamie était plus sévère que ma maman. Mon téléphone s’est mit à sonner. J’ai répondu. C’était Orion à l’appareil : Il ne m’aime pas plus que les autres personnes de la chorale. Il a une personne dans sa vie. Et je ne dois plus venir chanter dans sa chorale.

Je déchire les posters de lui dans ma chambre. Il est partout, dans mes dessins, il était devenu mon univers. Tout s’effondre.

Je prends un foulard, je le serre très fort…Je m’allonge au lit. Je m’endors.

Ma mère me réveille. Elle me gifle. Elle a eu peur. J’étais toute bleue qu’elle a dit. Ce sommeil était indolore.

Elle m’emmène me balader en campagne. Je ne dis rien.

Je me sens si vide.

Je ne chante plus, je donne ma voix à l’océan…à la sorcière-pieuvre. Je me suis sacrifiée au nom de l’amour.

 

*

 

Maman a trouvé la clef qui mène au grenier. Elle était chez elle dans une boîte à bijoux. Celle en forme de coquillage. J’introduis la petite clef dans la serrure. Je monte l’escalier, Marylin me suit. Les grosses poutres sont une arche inversée. Je retrouve une chambre : ce n’est pas un grenier malgré la poussière et quelques toiles d’araignées. Le lit bateau. L’armoire avec nounours châle dedans. La maison de poupée fabriquée par mon grand-père avec tout le mobilier. Des livres pour enfants rangés dans une bibliothèque. La poupée Barbie princesse Sissi dans sa robe couleur or. La pâte à modeler. Je suis émue. Il reste quelques objets. Des reliques.

J’ouvre la grande fenêtre puis les volets…La mer chatouille les rochers à la côte. Les mouettes crient. Je laisse entrer le vent dans les combles, la maison a besoin d’être aérée. Je retrouve mon livre de lecture entre les contes de fées.

 

*

 

Le lendemain, alors que je suis descendue dans la cuisine, il y avait maman et Luciano. Ils buvaient un café. Luciano m’a fait un baiser sur la bouche.

Il y avait une senteur de crêpes comme lorsque mamie nous en faisait. J’ai sorti les ingrédients du placard et du frigo et j’en ai fait. Farine, œufs, lait d’amande douce, eau de fleur d’oranger… J’ai retrouvé la petite poêle. Je les ai fait sauter pour m’amuser.

 

Journal intime d’un tapir,

 

31 mai 2023,

 

Je suis un des gardiens de cette maison et j’adore les enfants.

Je suis un fourmilier.

Je suis un attrape-rêve.

Dans les légendes japonaises on me nomme Baku.

Les enfants me dessinent avant de dormir, m’installent sous l’oreiller où ils posent leurs petites têtes…Je dévore leurs cauchemars.

Je suis souvent dans le jardin lorsque je ne suis pas dans la chambre des enfants.

J’ai dormi fort longtemps dans ce grenier.

Je me souviens de Sirénia, j’ai veillé sur elle.

J’ai rêvé qu’elle revenait vivre ici.

Je vais prendre soin d’elle comme autrefois.

 

Journal Intime d’une vouivre

 

31 mai 2023,

Laver ses cheveux après les bains de mer. Les démêler. Ce n’est pas facile…

J’ai aidé Sirénia à coiffer ses très longs cheveux de princesse.

Je connais pleins de secrets de beauté et d’amour.

Ou même artistique. Je vis dans la salle de bain.

Je descends à la côte prendre des bains de mer.

Parfois on perçoit un chant cristallin…

On voit d’étranges reflets sous les eaux.

Ce ne sont que mes écailles…

 

(A suivre)

Histoire de Mére et d'océan n°2 (suite)
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