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13 mai 2019 1 13 /05 /mai /2019 20:34
Eté Indien

Eté Indien

 

"Cela fait peur comme le vent qui soulève les vieilles tapisseries."

(Journal intime de Jules Renard, 7 mai 1894)

 

La jeune femme sursauta lorsqu’elle vit sur le côté, une araignée noire dans le flacon d’eau de Cologne ambrée. Noyée. Sexe féminin. Elle observa plus attentivement le flacon. L’araignée se transforma en une fleur dessinée à la plume fine. En transparence, décalquée à l’intérieur, juste derrière l’étiquette. La couleur de cette eau feutrée l’avait attirée à la boutique. Comme un feu indien. Son odeur ambrée évoquait celle du bois de Hô. Orianna n’aimait pas l’odeur des parfums trop artificiels et préférait les eaux de toilettes. L’odeur était plus diluée. Comme un nuage de coton absorbe et étend ses veines.

 Il restait une trace pailletée dans la baignoire ivoire. Les pieds griffus de la baignoire étaient crispés comme ceux de cette femme. S’agripper à quoi ? Tu n’es pas un arbre agrippé à une roche ! Tu ne t’enracines pas, tu flottes !  La musique symphonique  de Ghost in the Shell de Kenji Kawai, vibrait contre les parois du manoir creusois. Les feuillages dansaient dans le ciel bleu cotonneux. Un papillon mauve se cognait sans cesse au hublot. Elle ouvrit l’étroite fenêtre. Un air frais et parfumé s’engouffra. Les nuages sans consistance s’effilaient. Lorsqu’une raie de lumière passa à travers le nuage déchiré, la fleur se dessina en ombre chinoise sur le mur. A travers le reflet du liquide ondoyant.    

Elle portait une longue robe en dentelle bleu cyan. Ses longs cheveux blonds cascadaient jusqu’à la chute des reins. Ses mains tremblaient. Un mois qu’elle n’avait pas bu une goutte d’alcool. L’idée de boire du parfum à la bouteille  l’effleura tant le manque était fort. Elle prit le flacon, retira le bouchon et le posa sur ses lèvres… Si Orianna devait boire, ça ne serait pas du parfum, mais un bon vin. Juste un verre, pourquoi je rechuterais ?  Se dit-elle. Les autres savent boire modérément ! La bouteille de parfum lui échappa des mains et se brisa à ses pieds. Orianna pleura car c’était le parfum de Laurent qu’elle allait boire. Elle aimait sentir son odeur, cela réanimait son fantôme. L’illusion de sa présence.

Quelle étrange idée de boire le parfum de Laurent ! Je ne suis pas un vampire. Se dit-elle.

Elle songea que son père portait le même parfum que Laurent…

Dans l’ombre du couloir, elle vit les yeux phosphorés d’Euréka sa chatte. De sa blanche patte, elle ouvrit la porte et la lumière s’engouffra dans le sinueux couloir. La lumière fit refleurir une à une ‘Les belles de nuit’ de la tapisserie. Mais la vue d’Orianna était floue comme sous la surface de l’eau. Alors les pétales n’étaient que des larmes de sang. Tétanisée elle ne sut respirer. En ravalant son souffle, elle aspira le miaulement  bleu de son chat.

*

Le miroir au fond du couloir avait été dissimulé par une tapisserie contemporaine nommé La forêt dessiné par Max Ernst et tissée à la manufacture d’Aubusson. Pourquoi avait-elle voulu recouvrir ce miroir ? En avait-elle peur ? Ce miroir ovale (qui faisait penser à une psyché) était un lien magique entre sa sœur et elle. Elle aimait le croire car c’était sa sœur qui lui avait offert. Le couloir du manoir semblait déjà si étroit et infini qu’elle en avait recouvert la glace pour l’empêcher d’allonger encore ce chemin. Il était préférable de se heurter à un des troncs d’arbre de Max Ernst plutôt que de cheminer dans un labyrinthe. Mais il ne fallait pas se laisser hypnotiser par la spirale, ni même s’amuser à compter l’âge de l’arbre. Il fallait toujours recommencer, on s’emmêlait les pinceaux tant les lignes étaient les unes sur les autres. C’était un autre labyrinthe de l’esprit.  Il lui sembla que l’arbre pleurait de la sève. Il était arrivé quelque chose à son autre. Elle glissa la tapisserie sur le côté, la tringle couina. Des éclairs zébraient le miroir et il pleuvait. 

Le corps diaphane d’une jeune fille flottait dans la fontaine. Sa chevelure, des algues. Sa jupe, un lys. Son sang se mêlait à l’eau turquoise. Les rayons de lune dentelés de feuilles. La mouvance du feuillage. Et la vipère noire à la gueule triangulaire surgit des cuisses de la jeune fille.

Orianna a peint de mémoire la scène qui était apparue dans le miroir. Elle a fait tomber par mégarde le flacon d’encre rouge…Orianna paniquée a épongé le sol. Elle avait du sang sur les mains ! Ainsi que sur ses vêtements. Assise par terre sur ses cuisses, la tête presque renversée en arrière, elle hurlait comme une louve. Comme si c’était elle qui l’avait poignardé! Fébrilement, elle a effacé toute trace avec la serpillière.

Elle se fît couler un bain, et s’est baignée de longues heures en respirant avec difficulté. Elle était terrifiée car des milliards d’araignées noires grouillaient sur le mur et le plafond ! L’eau du bain s’infusait rouge au fur et à mesure qu’elle se frottait frénétiquement avec un gant et du savon. Tout ce sang, ce n’était pas seulement l’encre ? Elle avait marché nus pied sur les débris du flacon. Brillant comme des larmes. Aux facettes tranchantes. Elle se demandait ce qui se passait ?

Le vent s’engouffra dans le couloir cela fit peur comme le vent soulève les veilles tapisseries. Cela semblait éveiller d’un long sommeil les scènes. Elle entendit les chiens galoper sur le feuillage d’automne, aboyer après une proie, et le son des cors. Des hommes euphoriques coiffés de casques gaulois parlaient dans une langue ancienne. Leurs voix étaient profondes et caverneuses et portaient loin dans la forêt. Comme les bergers s’appellent d’une montagne à l’autre. Les lévriers s’effilaient dans leurs courses folles a travers les reflets du hublot puis de l’eau. Tandis qu’une biche tachetée d’or se noyait comme un médaillon trop lourd dans l’eau profonde. La lueur dorée s’était déposée sur le sexe de la jeune femme. Les silhouettes canines encerclaient la tache or, ce qui reste d’une biche. Un rayon de soleil se noyait en la forêt. Tous. Chiens et hommes s’absorbèrent dans la trace qui fut or. Le sexe d’Orianna les absorba tous, comme un siphon rouillé.  

Il y eut un autre coup de vent. Une autre tapisserie claquant contre le mur, éveilla la Damoiselle des bois qui s’effila dans le vent et dans le reflet du hublot avec sa robe. Mais dans l’écho ce ne fut pas la voix d’une dame du moyen âge. C’était la voix de sa sœur !

-N’aie pas peur des araignées, tu fais une crise de délirium…Tu as soif de son amour.   

*

Apolline, la sœur d’Orianna, donnait des coups de poings et des coups de pieds dans un sac de frappe avec rage. Elle pensait à l’homme qui l’avait agressée. Elle rêvait de le faire souffrir. Mais elle n’avait pas su. Quasiment seule en salle de fitness elle écoutait du métal. Sa louve lasse baillait couchée sur le tapis de gymnastique. Quand elle fut calmée, Apolline poursuivit son entraînement. Elle fit du vélo et courut comme une souris dans une sphère de gymnaste. Tandis que sa louve jouait avec elle.

Le maquillage de ses yeux charbonneux avait coulé. Ses yeux verts brillaient dans la pénombre du gymnase. Son regard était à la foi bouleversé, profond et furieux. 

Après trois heures d’exercices physiques, elle alla au vestiaire sans allumer la lumière. Un ver luisant sur le siphon de la douche s’envola dés qu’elle fît couler l’eau. Oups se dit-elle. J’allais le noyer. Mais était-ce vraiment un ver luisant ? Ou une luciole ?

Son gel douche à la criste marine odorait ce triste vestiaire aux murs de ciment gris. C’était une troublante odeur de vieille pierre comme dans les églises mais en plus malsain, c’était mêlé à la moisissure, à la transpiration. Une lucarne était ouverte sur la nuit perlée d’étoiles. Un vent léger mouvait une toile d’araignée qui était antre. Sa serviette, fantôme suspendu, était accrochée au porte manteau en fer. Elle émergea de la douche brumeuse et mit un pied sur ce sol glacé. Elle frissonna. Elle tendit sa main vers la serviette qui s’enroula autour de son corps frêle. Elle enfila son pantalon moulant noir en skaï. Serra son corset. Dans la glace se remaquilla. Un peu de poudre rose ivoire pour son teint. Du noir pour ses yeux. Et une goutte d’eau de Cologne ambrée derrière son oreille. Apolline songea à l’eau de Cologne chez sa sœur. Elles avaient la même sensibilité pour les fragrances. Mais pas pour le reste…Apolline était bien plus rock’n’roll. Elle avait des dehors froids et se cachait derrière. Orianna ressemblait à une princesse fragile tandis qu’Apolline n’aimait pas dévoiler trop de douceur et de romantisme. Apolline était à sa manière aussi raffinée que sa sœur. Mais son univers était plus sombre. Ce n’était pas une princesse. Plutôt une Louve urbaine. Mais ce n’était qu’une apparence.  L’homme avait perçu une faille en elle et toute sa fragilité s’était révélée à lui. Elle n’avait pas su se défendre…Il avait su en profiter... Sous ses airs de Lisbeth Salander, elle n’était pas plus forte que sa sœur !

Elle fit monter sa louve dans son Alfa Roméo. Apolline roulait à vive allure sur les routes sinueuses. Le buste d’une biche en plein phare a surgi des bois.  

*

Les belles de nuit ne s'ouvrent qu'à la tombée du jour et ferment leurs pétales sur elles-mêmes dés l'aube...Orianna était assise sur le rebord de la fontaine dans son jardin des simples. Euréka le chaton jouait au dessus de l’eau parce qu’il y avait des poissons rouges en transparence, ainsi qu’un crapaud dans une fleur de lotus.  

*

Chère Orianna,

Ma douce,  j’arrive demain chez toi, dans la nuit sans doute…Je n’ai qu’un vague souvenir de notre maison d’enfance. J’ai beaucoup de mauvais souvenirs d’où mon départ…Pardon de n’être jamais revenue te voir. Mais c’était trop douloureux. Je te vois dans les miroirs mais toi tu ne me vois pas. Tu es courageuse de te soigner pour ton alcoolisme…Tu as raison, ne bois pas comme papa !

Tu es jolie sur les photos. Fais attention aux hommes! Laurent ne mérite pas ton amour. C’est un homme trop violent ! Enferme toi à clef dans ton manoir, ne laisse entrer personne…Appelle la police s’il frappe trop fort à ta porte ! Ne le laisse pas te briser ! Moi je t’aime, fais moi confiance !

Ta sœur Apolline

Ps : j’ai trouvé un travail à Aubusson qui consiste à étudier les tapisseries…

Apolline prépare sa valise. Elle emporte des croquettes pour chien pour sa louve. Son journal intime. Le journal intime de Jules Renard. Une poupée Barbie pour sa sœur achetée au magasin de jouets. Sa sœur est adulte mais elle est restée très enfant. Elle est handicapée et ne travaille pas. Elle ne sort pas beaucoup de son manoir. Mais il est tellement vaste…C’est bien trop labyrinthique pour elle.

*

Laurent a cogné très fort contre la porte du manoir. Si fort que le portail en bois allait se fendre. Il hurlait de l’autre côté. Il voulait récupérer son parfum. Son instinct bestial reprit possession de lui. Et c’est une gueule du loup qu’elle vît  à sa fenêtre. Ses yeux étaient injectés de sang. Et ses griffes lacéraient la porte. Orianna s’était tapie dans l’ombre, elle tremblait !

-Dieu qu’il ressemble à mon père !

Un grand coup de patte et la porte vola en éclat. Il la vît et se jeta sur elle. Apolline chevauchant sa Harley Davidson poursuivie de sa louve arriva à ce moment là. Elle s’empara de sa matraque électrique et, subrepticement, se glissa derrière lui et lui envoya une décharge au niveau de la nuque. Il s’effondra. Resta immobile environ une minute peut-être deux. Et reprit peu à peu sa forme humaine à mesure qu’il reprenait conscience. La bête était partie. Encore sonné il se releva avec difficulté. Il leur lança :

-Désolé, je m’en vais. J’ai honte.   

*

Les deux sœurs enfin réunis ont dîné aux chandelles. Des cèpes et du gâteau creusois. Elles ont regardé les photos d’enfance éparpillées en désordre dans une petite boîte à chaussure bleu et ont parlé du passé. Apolline commentait les photos à voix haute.

-Sur celle-ci nous rentrions en CP. Maman nous avait fait des tresses. Tu te souviens de cette rentrée ? On avait peur mais nous étions ensemble. Regarde ça ! C’est le chien Zeus. Et ça c’est le mini bus bleu qui nous emmenait à l’école.

-Ah oui, ça me revient ce bonhomme de neige. Hiver 1994/95 ! Tu prétendais avoir vu des rennes dans le ciel, au dessus des grands sapins…Ce jour là, nous avions fait de la luge.

-Papa dans le jardin avec Zeus. Il avait réussi à faire éclore de la lavande vraie. 

Lorsqu’Apolline a offert la poupée Barbie Orianna fût surprise et déçue. La poupée n’était pas aussi longiligne que celles de son enfance.

Elle se retira dans le jardin des simples et comme une enfant qu’elle était encore elle voulu noyer la pauvre poupée dans l’eau de la fontaine.  

-Arrête Orianna tu me fais peur ! Laisse cette poupée tranquille ! Arrête, s’il te plaît! Ce n’est plus de ton âge !

Emmène-moi dans notre chambre, toi tu te repères bien dans ce labyrinthe. Nous jouerons avec nos anciennes poupées. Je me souviens de la princesse Sissi. Dit-elle plus calmement.

La poupée s’était échouée sur le rebord de la fontaine. Orianna se laissa tomber par terre et sanglota. Apolline la serra dans ses bras et lui reprocha gentiment : 

-Tu as vraiment une émotivité d’enfant blessée… Même ton chat Euréka n’est pas si capricieux ! Quand tu n’étais pas sage papa te giflait mais avec les années  tu n’es toujours pas plus sage!

-Si je suis sage comme les images…Et cela fait peur comme le vent qui soulève les vieilles tapisseries.

Orianna donna la main à Apolline et dans le dédale elles tentèrent de retrouver le chemin vers la chambre d’enfant. Le vent s’engouffrait dans le couloir et son chant était spectral. Leurs lanternes vacillaient. Leurs pas craquaient dans l’escalier et sur le vieux plancher. Quand elles entrèrent dans la chambre tout était resté comme autrefois. Le lit blanc à baldaquin, la princesse Sissi dans sa robe couleur or. Assise devant sa coiffeuse dans le miroir de sa maison de poupée. Dans une chambre qui ressemble à leurs chambres. Le livre Bambi posé sur la table de chevet, à côté d’une petite boîte pour les dents de lait destiné à la petite souris. Et la pièce de un franc sous l’oreiller fleuri. Le petit tableau noir pour jouer à la maîtresse avec les ours. Le beau landau en bois. Un poster de La Belle au bois dormant au- dessus de l’étagère où des livres sont rangés entre les fèves Disney. Et le parfum de Laurent…Non celui de leur père Ulrich  baptisé Loup des steppes. Un design métallique et argenté comme une flasque de cognac. L’ombre mouvante de la forêt projetée sur les murs comme un reflet d’eau.

Eté Indien
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